Certains pensent qu’on joue avec les mains. D’autres, avec la mémoire. Moi, je crois qu’on joue avec les yeux.
Pas ceux qui regardent le plateau. Ceux qui observent l’adversaire.
Ça m’est venu lors d’un tournoi dans les tours d’Umeda. Face aux grandes baies vitrées, j’affrontais ce vieux monsieur très poli. Ses yeux suivaient mon regard comme des radars. Quand je fixais un secteur, il s’y préparait. Quand j’hésitais, il ralentissait.
Il me lisait.
J’ai testé : regarder ailleurs, feindre l’intérêt pour des zones neutres. Chaque fois, il adaptait sa défense. C’était fascinant.
Et terrifiant.
Parce que si lui pouvait me voir réfléchir, qu’est-ce que moi je trahissais ?
Cette question a commencé à m’obséder. Dans le métro, je surprenais mes reflets sur les vitres - mes yeux bougeaient sans cesse, cherchaient, révélaient. Au bureau, mes collègues semblaient anticiper mes phrases.
Les yeux, fenêtre de l’esprit, dit-on.
Mes résultats ont chuté. Pas par faiblesse technique, mais parce que je ne pouvais plus me concentrer. À chaque coup, je me demandais quelle stratégie se dessinait malgré moi dans mon regard.
J’ai acheté ces lunettes un mardi pluvieux. Pas pour le soleil, bien sûr. Pour la paix.
Elle souffle sa bougie et sourit en fixant le lampion bleu.
Maintenant, je peux voir sans être vue. Et surtout…
Sa voix devient un murmure.
Je peux voir qui m’observe.