Chapitre 98 : En Marge
Narrateur : Mugenjin (via assistante sociale) - District : Inconnu
L'organisateur consulte sa liste et lève les yeux vers une femme en costume sombre.
"Pour la quatre-vingt-dix-huitième histoire, nous avons une situation... particulière. Madame Yoshida va nous permettre d'entendre quelqu'un que vous connaissez tous, même si personne ne l'a jamais rencontré."
Une femme se redresse lentement, son badge d'assistante sociale captant la lueur tremblotante des trois dernières bougies.
"Merci."
Elle pose un petit appareil au pied de sa bougie.
"Monsieur... Mugenjin ? Vous êtes prêt ?"
Un murmure parcourt l'assemblée. Tous connaissent ce pseudonyme - celui du joueur mieux classé de la région du Kansai.
Une voix claire mais lointaine s'élève :
Bonsoir à tous. Je... [une toux sèche] Je vous prie d'excuser ma voix. Je ne parle pas beaucoup ces derniers temps. Certains d'entre vous se demandent peut-être pourquoi je ne suis pas présent physiquement ce soir. La réponse est simple : je ne sors plus de chez moi depuis... eh bien, depuis un certain temps.
Mais ne vous méprenez pas. Ce n'est pas par peur. Non, non... C'est par prudence.
[Un rire bref, presque nerveux]
Voyez-vous, j'ai passé les quarante dernières années à étudier ce qui nous entoure. Pas le monde visible, non. L'autre. Celui que vous côtoyez tous les jours sans le voir.
Ah, je vous entends déjà penser : "Encore un vieux fou qui va nous parler de kitsune cachés dans les buissons !" [Nouveau rire, plus assuré] Non, non, mes amis. Les yokai d'aujourd'hui ne ressemblent en rien à ceux des vieilles estampes. Pas de kappa à tête de tortue. Pas de oni rouges avec leurs massues. Et certainement pas de karakasa obake sautillant sous la pluie !
[Sa voix devient plus grave, presque professorale]
La société a évolué, et eux avec. C'est fascinant, vraiment. J'ai compilé des données, établi des corrélations. Saviez-vous que je peux par exemple reconnaître le style de chacun d'entre vous rien qu'à la façon dont vous déplacez vos pièces. Je peux voir vos hésitations, vos certitudes... tout cela transparaît dans vos mots.
[Il baisse encore la voix]
Parfois, je sens au-delà de vos stratégies. Je perçois vos humeurs, vos préoccupations cachées. C'est... épuisant.
C'est pourquoi...
[Soudain, un bruit sourd résonne à travers le haut-parleur, comme quelque chose qui tombe lourdement]
"Qu... Qu'est-ce que c'était ? Il y a quelqu'un ?"
[Sa voix change brusquement, perdant toute assurance, devenant tremblante]
"Ma... Maman ? C'est toi ?"
[L'assistante sociale à genoux se penche brusquement vers le téléphone]
"Tanaka-san ! C'est Yoshida, votre assistante sociale. Je suis ici, dans le temple, je n'ai pas bougé. Tout va bien !"
"Maman ! MAMAN ! Je t'ai entendue ! Je sais que c'est toi !"
"Tanaka-san, écoutez-moi, s'il vous plaît. Je suis là, avec les autres participants. Personne n'est chez vous, vous m'entendez ?"
[Des bruits de pas précipités résonnent dans le téléphone, la respiration de l'homme devient de plus en plus erratique]
"MAMAN ! Ne pars pas ! Je t'en supplie, ne me laisse pas tout seul !"
[L'assistante sociale saisit son téléphone et souffle sa bougie]
"Je... je dois repartir. Veuillez m'excuser."
[Elle court vers la sortie du temple, sa voix maintenant plus distante du groupe mais toujours audible]
"Tanaka-san, restez au téléphone avec moi. Je viens, d'accord ? Je serai là dans quelques minutes. Respirez calmement. Je suis là, je reste avec vous..."
[Sa voix s'évanouit dans la nuit.]