Cent Histoires de la Région du Kansai

La Princesse Bleue

La Note

L’organisateur marque une pause, son regard se posant sur une jeune femme en tenue de sport qui semble étudier l’assemblée avec un œil professionnel.

Nous accueillons ce soir une invitée particulière. Yuki-san, vous qui avez l’habitude d’écouter les récits troublés dans un tout autre contexte… Le barman du Bar de la Régence pense que votre témoignage nous éclairera.

Il s’incline légèrement.

Quarante-huitième bougie.

Un faux départ. Elle ouvre la bouche, la referme, puis reprend.

D’habitude, c’est moi qui écoute. Les gens viennent, s’assoient, me racontent ce qui les hante. Je hoche la tête, je pose les bonnes questions, je les aide à démêler le vrai du faux. Mais ce soir…

Elle prend une inspiration.

Ce soir, c’est moi qui ai besoin de parler. De comprendre. Parce que ce que j’ai vu ce soir-là, ça ne rentre dans aucune case, aucun diagnostic, aucun manuel.

C’était un vendredi soir. J’étais crevée - vous savez ce que c’est, écouter des dépressifs toute la journée. J’avais juste envie de souffler un peu, de boire un coup, de rigoler un peu. Ma copine était venue avec son mec, qui avait amené un collègue de son bureau, Yoshirō. Un type à l’apparence banale, costume-cravate, le genre discret qui observe sans rien dire.

J’avais l’impression d’être tombée dans un club privé. Des échiquiers partout et une ambiance feutrée. Ma copine et notre amie commune papotaient, son mec faisait son intéressant. Et rapidement, Yoshirō est parti chercher une tournée. Puis plus rien.

Les autres se sont d’ailleurs barrés aussi, un par un. Aux toilettes, un coup de fil, je reviens… Tu parles. Au bout d’une heure, j’étais plantée là toute seule devant nos verres vides.

Elle marque une pause, passe sa main dans ses cheveux courts.

Je suis retombée sur lui en allant récupérer ma veste. Il était assis dans le fond, la tête posée contre un échiquier, à fixer une dame blanche qu’il tenait dans sa main droite, les paupières à moitié fermées. Sur le moment, j’ai pensé qu’il s’était endormi, complètement ivre. Ça m’a vraiment agacée - se saouler comme ça et me laisser toute seule.

Avant de partir, j’ai griffonné une petite pique au dos de l’addition. Histoire qu’il se souvienne de moi, quoi. Je l’ai posée sur sa table.

Sa voix devient plus basse.

Le lendemain, les flics. Vous étiez la dernière à l’avoir vu vivant. Sauf que d’après eux, il était mort depuis au moins trois heures quand je l’ai trouvé.

Trois heures.

Elle fixe la bougie.

Je leur ai répété cent fois : Il respirait ! Je l’ai vu respirer !. Mais pour eux, mon mot sur la note… c’était trop louche. Comme si j’avais voulu me venger.

Finalement, ils ont classé ça en mort naturelle. Arrêt cardiaque.

Un long silence.

Au final, je la lui ai quand même payée, son addition - trente-deux mille yens.

Elle souffle sa bougie d’un coup sec.