Cent Histoires de la Région du Kansai

La Princesse Bleue

Les Nuits Oubliées

L’organisateur parcourt l’assemblée du regard et s’arrête sur une femme au maintien altier.

Miyuki-san, vous semblez avoir quelque chose d’important à partager.

Elle se lève avec une élégance calculée, lisse les plis de sa jupe.

Je m’appelle Miyuki. Je travaille dans une compagnie d’assurances à Namba. Rien d’exceptionnel, vous pourriez penser.

Mais le soir, je me transforme. J’enfile ma tenue préférée et je descends dans les petits salons de jeux de Shinsekai. Pas pour l’ambiance. Pour autre chose.

Un sourire presque imperceptible effleure ses lèvres.

Les hommes ont cette façon si prévisible de réagir quand une femme s’installe à leur table. D’abord l’étonnement, puis cette condescendance polie : Vous connaissez les règles, Mademoiselle ? Comme si mon sexe me rendait incapable de comprendre la stratégie.

J’acquiesce humblement. Je demande même parfois qu’on me rappelle tel ou tel mouvement. Ils adorent expliquer, ces messieurs. Ils se rengorgent, prennent leurs airs de maîtres.

Et puis la partie commence.

Ses yeux brillent d’une lueur particulière.

Ce que j’aime, ce n’est pas le jeu en lui-même. C’est d’observer le moment où leur assurance se fissure. Leurs regards qui se détournent vers leur verre, qu’ils vident plus vite qu’ils ne le devraient. Leurs doigts qui pianotent sur la table, impatients.

Je joue lentement. Anormalement lentement. Des minutes entières à contempler un coup qui, pour eux, ne devrait exiger aucune réflexion. Ils savent déjà quelle serait leur réponse. Mais moi… je tarde. Toujours un peu plus.

Ils croient que je réfléchis. En réalité, je les use. Chaque gorgée d’alcool les alourdit, chaque attente les fatigue. Comme si le temps s’allongeait entre mes mains.

Peu importe leur force, s’ils ne parviennent jamais à terminer la partie. Parce que je place toujours ma réponse un souffle plus loin, au bord de leur patience.

Et quand ils s’effondrent enfin, épuisés, je disparais. Je ne les revois jamais. D’ailleurs, il m’arrive de croiser certains d’entre eux dans la rue, en plein jour. Ils me regardent sans me reconnaître.

Comme si j’étais quelqu’un d’autre.