Cent Histoires de la Région du Kansai

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Chapitre 3 : L'Homme Transparent

Narrateur : Hiroshi - District : Nishinari

L'organisateur parcourt sa liste du regard et s'arrête sur un homme au fond de la salle, vêtu d'un costume élimé mais soigneusement entretenu.

"Hiroshi-san, je crois que vous avez quelque chose à partager avec nous ?"

Un homme se lève lentement, lisse les plis de son costume d'un geste machinal. Ses chaussures cirées brillent dans la lueur des bougies.

Vous vous demandez peut-être comment je fais pour progresser autant à l'ōgi ces derniers temps. Permettez-moi de vous raconter mon secret.

Il y a trois ans, j'ai perdu mon poste à la Sumitomo. Licenciement économique. Puis l'appartement - impossible de payer le loyer de Kitahama. Ma femme est repartie à Kobe avec Yuki. "Le temps que tu retrouves une situation," qu'elle a dit. Elle téléphone encore, parfois.

Maintenant, je dors dans le parc de Tengachaya. Mais chaque matin, je me rase aux toilettes publiques de la gare, je repasse mon costume avec le plat de mes mains, et je monte dans le premier train à Shin-Imamiya. 7h43, ligne Midosuji direction Senri-Chuo.

Je voyage jusqu'au soir. Midosuji jusqu'à Esaka, retour jusqu'à Nakamozu. Puis la Tanimachi de Dainichi à Yaominami. La Chuo d'est en ouest, de Cosmosquare à Ikoma. Dans ma vieille sacoche en cuir, j'ai mon plateau magnétique et mes carnets de kifu.

Il sort un carnet écorné, le feuillette délicatement.

Pendant que les salarymen somnolent ou scrollent sur leurs téléphones, moi j'étudie. Je rejoue nos parties du dimanche, et j'analyse tous les coups de Mugenjin-san. Le rythme du train, ce bercement régulier... ça m'aide à voir les patterns que je manquais avant.

Parfois, une dame âgée me regarde jouer contre moi-même. Elle sourit, hoche la tête. Les jeunes, eux, font semblant de ne rien voir. Un type en costume qui déplace des pièces dans le vide, ça les met mal à l'aise.

Il marque une pause, fixe la flamme de la bougie.

C'est étrange. Dans la rue, les gens changent de trottoir quand ils me voient approcher. Mais dans le métro, avec mon abonnement mensuel et mon costume, je suis juste un passager parmi d'autres. Personne ne sait que ce soir je retournerai dormir sur un carton.

La semaine dernière, j'ai battu Nakamura-san en demi-finale du tournoi préfectoral. Ma femme l'a appris par une connaissance commune. Elle m'a appelé, la voix tremblante : "Hiroshi, comment tu fais pour jouer comme ça maintenant ?"

Il referme son carnet avec soin.

J'ai juste répondu : "J'ai huit heures par jour pour m'entraîner, Keiko. Huit heures où personne ne me voit."

Il souffle sa bougie et retourne s'asseoir dans l'ombre.