Chapitre 1 : L'Angle Mort
Narrateur : Kim Soo-jin - District : Tsuruhashi
L'organisateur se lève lentement et parcourt du regard l'assemblée silencieuse. La lueur des quatre-vingt-dix-neuf bougies danse sur les visages attentifs.
"Mes amis, nous voici réunis pour notre cérémonie annuelle du hyakumonogatari kaidankai. Cent histoires nous attendent cette nuit, cent témoignages de ce qui se cache dans l'ombre de notre quotidien."
Il marque une pause, puis sourit avec bienveillance.
"Kim Soo-jin, voulez-vous nous faire l'honneur d'ouvrir cette soirée ?"
Je m'appelle Kim Soo-jin. Certains d'entre vous me connaissent depuis des années. Ce que je vais vous raconter... ça s'est passé l'hiver dernier, après qu'on a dû déménager à Tsuruhashi. Notre propriétaire avait augmenté le loyer, encore une fois. On n'avait pas vraiment le choix.
L'appart qu'on a trouvé, c'est dans un de ces vieux danchi pourris où les murs s'effritent. Vous savez, ces immeubles avec les escaliers qui grincent et l'odeur de moisi dans les couloirs. Deux pièces minuscules, des tatamis tachés... le genre d'endroit où t'entends ton voisin pisser la nuit. Enfin, on fait avec ce qu'on peut.
Trois jours après qu'on a emménagé, mon fils Min-ho a commencé à... comment dire... à se réveiller chaque nuit, toujours à la même heure. 3h15 du matin, comme une horloge. Il se redressait d'un coup, il montrait le mur, là, celui qui est mitoyen avec l'immeuble d'à côté, et il criait des trucs que je comprenais pas. Des mots qui ressemblaient ni à du coréen ni à du japonais. Puis il se rendormait comme si de rien n'était.
Le matin, il se souvenait de rien. On est allés à la clinique de quartier, celle qui accepte encore la carte d'assurance nationale quand t'as du retard dans les paiements. Le médecin a parlé de terreurs nocturnes. Il a prescrit des médicaments qu'on pouvait à peine se payer. De toute façon, ça n'a rien changé.
C'est à cette époque que je me suis mise à venir plus souvent aux réunions. Ça me changeait les idées, ça me donnait autre chose à penser. Mais même pendant les parties, j'arrivais pas à me concentrer complètement.
Un jour, au marché d'Ichioka, j'aidais ma grand-mère à vendre son kimchi. Entre deux clients, elle m'a regardée avec ces yeux qui voient tout et m'a demandé pourquoi j'avais l'air si fatiguée. Je lui ai raconté pour Min-ho.
Elle a juste hoché la tête. "Ah, c'est ce mur-là," qu'elle a dit. Comme si elle savait exactement. Elle m'a donné un petit sac de sel. Pas celui de cuisine, hein. Du sel qu'elle garde pour... pour ces choses-là.
Mon mari s'est foutu de moi quand je lui ai raconté. Il travaille à l'usine, lui. Il croit pas à ces histoires. Mais quand tu dors plus depuis un mois, tu tentes tout.
Cette nuit-là, j'ai fait ce que ma grand-mère m'avait dit. Quand Min-ho s'est mis à crier, j'ai jeté le sel contre le mur. Y'a eu comme un... un bruit bizarre. Comme un sifflement, très léger. Min-ho s'est recouché immédiatement.
Le lendemain matin, des sirènes m'ont réveillée. L'immeuble d'à côté. Une vieille dame qui vivait seule depuis des années, retrouvée morte dans sa salle de bain. Le concierge, ce type toujours en maillot de corps qui pue la bière, il disait à tout le monde qu'elle avait le visage brûlé.
Plus tard, j'ai appris que c'était notre voisine.
J'ai jamais été du genre à croire à ces conneries. On est chrétiens dans ma famille depuis longtemps, même si on va plus vraiment à l'église. Mais j'ai quand même poussé l'armoire contre ce mur. Et chaque semaine, je mets un peu de sel derrière. Au cas où.
Min-ho dort tranquille maintenant.
Kim Soo-jin souffle sa bougie. La première des cent histoires vient de s'achever.